Au printemps 2018, la classe dirigeante se frottait les mains : elle avait solidement installé sur le trône de France le plus fidèle exécutant de son projet de domination totale. Banquier comme Pompidou, jésuite comme Mitterrand, « jeune » technocrate comme Giscard : Macron avait décidément le profil idéal. Les partis de gauche étaient réduits à l’état de sectes et s’entre-déchiraient, les syndicats cherchaient en vain leur base: le moment semblait propice pour en finir une bonne fois pour toutes avec ces fâcheux « acquis sociaux » – où, plutôt, ce qu’il en restait après plus de trente ans de dictature de la finance. Un an plus tard, le pouvoir, massivement conspué et contraint à la reculade, est aux abois. Le peuple, soudain, s’est éveillé. La plus formidable révolte sociale depuis un demi-siècle a éclaté, donnant naissance au mouvement des Gilets jaunes et à son cortège d’actes de rébellion. Comme en 1789, c’est une taxe de trop qui a mis le feu aux poudres. Les exigences des foules mécontentes se sont radicalisées, de même que l’affrontement avec les forces armées de l’État. Une prise de conscience collective a eu lieu sur les ronds-points, dans les défilés sauvages, dans les échanges de points de vue – et face aux mensonges et dissimulations des grands médias publics et privés. Trop longtemps aphasiques, les pauvres, réunis par la colère, se sont mis à palabrer, à chanter leurs rêves et crier leurs dégoûts, à échanger leurs idées et à dépasser leurs préjugés. Nombre d’entre eux ont inscrit quelques mots, qui leur venaient des tripes, au dos de leur gilet fluo, et il nous a paru que l’addition d’une centaine de ces dos en verve, dans un petit album photo loquace, formait en soi une contribution, modeste mais instructive, aux débats qui sont nés du mouvement.